CHEF ET APOTRE
En guise de préface aux “tornades sur Le Lac Léopold II” que publie la Collection Lavigerie, le R.P. Denis, nous a précédemment parlé du Lac où il fut, en 1907, le premier compagnon du R.P. Geens, lequel mourut en 1952, ayant 55 ans de Congo. C’est un vieux chef de cette région qu’il évoque aujourd’hui.
Comme on le sait, un nombre considérable de tribus peuplent l’immense territoire du Congo belge. Si plusieurs comptent des milliers d’habitants, d’autres n’en ont qu’un nombre restreint ; c’est le cas pour la tribu des Bazia, au Lac Léopold II, dépendant du poste actuel de Kutu.
A vrai dire, cette tribu Bazia aurait eu au cours des siècles passes une population de 10 000 âmes Malheureusement diverses calamités avaient réduit cette tribu intelligente à environ 5.000 indigènes lors de la première occupation en belge en 1889.
L’Etat indépendant du Congo avait reconnu comme chef de tribu un nommé Nienie (prononcez : Nièniè), qui habitait le village de Mpusu, à une heure au nord de Kutu, résidence de l’agent de l’état. Dès l’installation de ce poste, le chef Nièniè crut de son devoir de nouer avec l’autorité des relations de bon voisinage. Assez souvent, il descendait en pirogue à Kutu. S’enquérant des besoins du personnel de la station, et s’offrant pour tout service. Pareille conduite de serviabilité de sa par était tout le contraire de celle de nombreux chefs de tribu, qui évitaient ou même fuyaient la rencontre des agents de l’état.
Les bons rapports, qui s’étaient établis entre l’administration et le chef des Bazia, firent une heureuse impression sur les villageois de toute la tribu, qui, d’abord très craintif, commencèrent à venir vendre à Kutu les produits de leur sol et de leur petite basse –cour ; ils y achetaient des étoffes, du sel et divers ustensiles.
Comme presque tous les adultes de cette époque, le chef Nienie était polygame, il avait deux femmes. Vers l’année 1902, une fille lui naquit de sa première femme. Après quelques mois, l’enfant devint gravement malade, et on la porta chez l’agent de Kutu, qui était alors Monsieur Viérin, originaire de Courtrai. Celui-ci, après avoir donné à la mère quelques conseils concernant la petite malade, demande à Nienie l’autorisation de baptiser l’enfant, qui paraissait à toute extrémité, et il lui expliqua le sens de la cérémonie. Le brave père y consentit. On rentra au village de Mposo, et, groupe par groupe, les habitants vinrent s’informer auprès du chef de ce qui s’était passé chez l’agent de Kutu :’’le blanc avait baptisé l’enfant, lui avait donné le nom de Marie, et la petite Marie était maintenant chrétienne’’.
Tout cela fit grand bruit dans la région, d’autant plus que l’on savait que là-bas, loin, loin, à l’aval des rivières, des Congolais priaient le Bon Dieu, recevaient le baptême et ajoutaient à leur nom païen un nom chrétien.
Il fallait rappeler ces choses pour comprendre combien zélé propagateur de la religion allait devenir le chef Nienie, une fois devenu chrétien, lui qui s’était déjà montré jusqu’alors un fidele serviteur de l’Etat. En réalité, il allait, dans un avenir tout proche, amener la majorité de la population des Bazia à se convertir. Tous les membres du personnel de l’Etat ne parlaient de lui qu’avec la dénomination de : « brave chef Nienie, l’intelligent chef des Bazia ».
En 1907, Kutu était la résidence du chef de secteur de la basse-Lukenie : le lieutenant Bayens. C’est cette année –là qu’y aborda le bateau qui amenait au Lac Léopold II les deux premiers Pères de Scheut, envoyés pour la nouvelle Mission d’Inongo. Leur arrivée fut considérée par toute la population du pays comme un événement heureux.
A Kutu donc, alors que dans la soirée, les Pères étaient à causer avec M.Bayens sous la véranda de sa maison, s’amena le chef Nienie, accompagné de sa femme et de leur fille Maria. Monsieur Bayens, confident des intentions du chef, lui permit de parler aux missionnaires. Nienie remit d’abord au R.P. Geens, le témoignage écrit du baptême donné à sa fille par M. Viérin, et insista pour recevoir au plus tôt un catéchiste pour Mposo, son village, et pour ceux de sa tribu. Ensuite il certifia que, depuis le baptême de l’enfant, il était devenu monogame, en vue de recevoir, ainsi que son épouse, le sacrement de baptême.
De si heureuses dispositions étaient bien faites pour réjouir et encourager le cœur de deux Pères. D’autre part, depuis quelques années, plusieurs adultes et jeunes gens du lac étaient partis pour Wombali, sur la rivière Kasaï, où les Pères Jésuites avaient fondé une Mission en 1903 ; apprenant la nouvelle de l’arrivée des Pères dans leur District, de nombreux chrétiens, gens lettrés, quittèrent Wombali et arrivèrent à la Mission d’Inongo ; fait vraiment providentiel. R.P. Geens en profita pour les envoyer comme catéchistes dans les villages qui en avaient fait la demande. De cette façon, le chef Nienie en reçut plusieurs pour ses villages.
Les premiers groupes de catéchumènes allèrent recevoir le baptême à Inongo ; le village de Mposo représentait le groupe le plus nombreux ; ayant à sa tête le Chef Nienie et son épouse Marikani, qui furent baptisés aux noms d’Augustin et de Técla. Vu la distance de 100 Kilomètres qui séparait Kutu de la mission d’Inongo, et cela par voyage en pirogue sur le Lac souvent agité, Monseigneur Van Ronslé, Vicaire Apostolique, décida que les Bazia auraient, eux aussi, le, leur poste de Mission, qui s’occuperait d’eux et des Basakata, leur tribu-sœur.
Il fallait tout d’abord trouver un emplacement le long des rives de la Lukenie ou de la Mfimi, inondées sur de longues distances. Aussitôt cette nouvelle connue, le Chef Augustin Nienie se mit à la besogne. Il réunit quelques adultes de son village et leur demanda de lui indiquer des emplacements favorables à l’établissement de la future mission. Le choix unanime fut pour Bokoro, sur la rive gauche de la Lukenie. Et les deux Pères, venus fonder le poste en novembre 1910, ne purent que ratifier ce choix, favorable à touts points de vue. Ajoutons que ce fut grâce à l’entremise d’Augustin auprès des notables de la région, que facilitèrent les questions de terrain, de pêche et de matériaux de construction pour l’établissement de la nouvelle Mission.
Ceci fait, Augustin entreprit une tournée de ses villages, y fit construire de petites chapelles en matériaux du pays. L’enthousiasme régnait partout. En peu d’années, 4000 Bazia, tant adultes qu’enfants, vinrent recevoir le baptême à Bokoro ; les vieux païens le demandaient eux-mêmes en danger de mort, et Augustin en baptisa de sa main un grand nombre. Quant à son village de Mposo, il était réputé le plus coquet e la région : larges chemins bordés de palmiers vigoureux, maisons proprettes, chapelle spacieuse, cultures très répandues. Tout étranger y était le bienvenu.
Bien qu’étant le personnage le plus distingué de la tribu et, de plus, doué d’une belle intelligence, Augustin n’affectait nullement des dehors de pédant ou de tyranneau. Catéchumène, il assistait humblement et pieusement aux leçons de catéchisme. Il apprit, avec quelques autres adultes, à lire, à écrire et à calculer, chez le catéchiste Lisasi Augustin, dont il prit le nom au jour de son baptême. Calme au cours des palabres que ses sujets lui exposaient, il ne brusquait personne ; il ne reculait devant aucune peine quand il s’agissait d’aplanir les difficultés qui surgissaient quelquefois entre tel ou tel et les agents de l’Etat. Aussi tous les Bazia tenaient-ils leur chef en grande estime.
En 1924, Monsieur Foquet, Commissaire du District, vint faire l’inspection de près de 200 villages au Sud du lac. Ce travail dura cinq longs mois. Le Chef Nienie fut choisi par Monsieur le Commissaire pour être son interprète, disons même son conseiller. Se défiant de lui-même, Augustin demanda qu’on lui adjoignit Bola Jacob, homme intègre et prudent.
Quelques mois après son retour à Mposo, Augustin tomba gravement malade ; un bateau, qui montait à Inongo, le prit à son bord pour aller consulter le médecin du poste. Rien n’y fit. Un Père de la Mission alla lui administrer les derniers sacrements. Le bateau le ramena à Mposo, où il mourut en mai 1925. Sa mort fut un deuil pour toute la tribu ; ses sujets se cotisèrent pour faire célébrer des messes à son intention. La mission de Bokoro perdait en lui un grand bienfaiteur ; elle fit placer sur sa tombe une grande croix en bois d’ébène.
Quant à sa veuve, Marikani Técla, qui en cette année 1953, est encore en vie, elle est allée habiter Kutu chez sa fille Maria, mariée depuis bien des années et mère de famille. La vielle maman est pour les milliers de baptisés de la région un modèle des vertus chrétiennes.
Ah ! Si tous les chefs de tribu étaient bien disposés envers la religion que fut le chef Nienie Augustin, le Congo tout entier serait chrétien avant la fin de ce siècle.
Jules Denis
Missionnaire de scheut.
5 commentaires:
Merci infiniment à vous d'avoir repris si fidèlement le récit de la vie de mon arrière-arrière grand père Augustin NIENIE et de l'inscrire ainsi dans l'histoire du diocèse et de cette partie du Congo.
Je suis fière de ses actions et de porter le nom de sa fille Marie IKUNA, mère de ma grand-mère Jeanne MPIA BOMPENDE (épouse Emile BANTONE).
Merci encore!
Moi , je lis ces lignes en réalisant de petites recherches sur la généalogie de ma famille; Feu ma grand mère m'avait montré une photo de Jules Denis il y aplus de 25 ans de ça!
Georges Focquet entra dans l'administration coloniale en 1912. Il y fit une brillante carrière. S’il n'était mort prématurément, alors qu’il était déjà à 35 ans commissaire du district du Lac Léopold II, il eût pu accéder aux plus hautes fonctions.
Son neuveu, le Docteur Jean Focquet a été médecin à Bikoro de 1955 à 1960.
Georges Focquet entra dans l'administration coloniale en 1912. Il y fit une brillante carrière. S’il n'était mort prématurément, alors qu’il était déjà à 35 ans commissaire du district du Lac Léopold II, il eût pu accéder aux plus hautes fonctions.
Son neuveu, le Docteur Jean Focquet a été médecin à Bikoro de 1955 à 1960.
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